« L’AOP laguiole nous permet d’investir pour alléger le travail »
Sans la valorisation de leur lait à plus de 500 €/1 000 litres, Jean-Yves et Damien Bélard n’auraient pas investi dans la traite robotisée et autant modernisé leur outil de production pour améliorer leurs conditions de travail.
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Au Gaec des 3B, Jean-Yves et Damien Bélard partagent un objectif commun : gérer la charge de travail. « Nous tenons à garder du temps pour la vie familiale et les activités personnelles », affirment les deux frères, installés en 2000 pour Jean-Yves et en 2008 pour Damien.
Au fil de l’année, ils se relayent un week-end sur deux, et prennent chacun une à deux semaines de vacances. « En 2013, nous avons décidé de franchir une autre étape en nous équipant d’un robot de traite. Nous voulions alléger le travail de celui qui est d’astreinte le week-end, et préparer le moment où notre père ne pourra plus nous aider. »
Avant de se lancer, ils ont envisagé deux options :investir dans un robot ou embaucher. « Trouver un salarié n’est pas facile, le fidéliser non plus », regrette Damien. Le robot revient plus cher, mais il travaille 365 jours par an. « La salle de traite, en 2 x 5 postes, était obsolète, il fallait de toute façon investir. Et c’était un bon moment pour le faire, car nous venions de finir de payer le séchage en grange », ajoute Jean-Yves.
« Nous avons dû montrer que le robot est conciliable avec le pâturage »
Ils se sont donc équipés de deux stalles Lély pour leurs 80 laitières… une option financièrement possible grâce à la bonne valorisation de leur lait en AOP laguiole.
Pour les installer au milieu des bâtiments, il a fallu refaire l’électricité et la maçonnerie. « Nous avons en même temps refait le captage de la source qui alimente l’élevage, changé l’aplatisseur et complété les cellules de stockage des céréales. Le tout nous a coûté 305 000 €, dont 50 000 € d’aides dans le cadre d’un PCAE », précise Jean-Yves.
Les deux frères ont pu autofinancer en partie cet investissement car avec un prix du lait supérieur à 500 €/1 000 l, ils dégagent de la marge (voir infographie). « Dès 1985, notre père a décidé derejoindre la coopérative Jeune Montagne et de produire pour l’AOP laguiole. Avec de bons prix, plus stables, nous avons de la visibilité pour investir. S’il n’avait pas fait ce choix, nous ne serions pas là aujourd’hui ! »
Dans cette appellation, le Gaec des 3 B a été le deuxième à s’équiper d’un robot. « Le premier éleveur a ouvert la voie, mais quand nous nous sommes lancés à notre tour, c’était encore une phase expérimentale. Il a fallu montrer que le robot était conciliable avec le pâturage. De son côté, la coopérative a vérifié qu’il ne dégradait pas la qualité du lait cru, essentielle pour nos fromages d’appellation. Et en particulier la lipolyse », souligne Jean-Yves.
Le cahier des charges impose un minimum de 120 jours de pâturage par an. « À la sortie du robot, nous avons dû rajouter une porte qui donne accès à une aire d’attente au pâturage. Si la vache a été traite récemment, elle peut franchir cette porte. Sinon elle est renvoyée vers la stabulation et doit revenir se faire traire avant de sortir », explique Damien.
Si le Gaec a dû investir dans deux stalles de robot, c’est qu’il entendait continuer à pratiquer un pâturage tournant. Avec ses deux stalles, le troupeau est ainsi trait en quatre heures, limitant autant que faire se peut le temps passé dans l’aire d’attente. Il est ensuite conduit à la parcelle de jour. La nuit, les laitières accèdent librement à une autre parcelle. Durant cette période d’herbe, les vaches sont traites deux fois par vingt-quatre heures. L’hiver, quand elles ne sortent pas, la fréquence monte à 2,8 ou 3 traites… ce que n’interdit pas le cahier des charges. « Elles se sont bien adaptées au robot. Nous n’en avons plus qui retiennent leur lait, même les aubracs rameau laitier », remarque Jean-Yves.
« Nous consacrons plus de temps à la surveillance »
Avec le robot, ils n’ont plus besoin de passer quatre heures par jour à la traite. « Nous pouvons ainsi nous occuper tranquillement des veaux, des génisses et des vaches. Nous consacrons plus de temps à la surveillance, mais avec moins de contraintes horaires », apprécie Damien. Ils commencent plus tard leur journée, à 7 h pour celui qui surveille les vaches et le robot et à 8 h pour celui qui alimente. Et ils finissent plus tôt, respectivement à 18 h et 19 h. « Nous alternons chaque semaine les horaires et les tâches, de façon à rester polyvalents », note Jean-Yves.
Pour alléger encore l’astreinte, les deux frères viennent d’investir 25 000 € dans un robot racleur dédié à l’aire de promenade. « Dans les deux ailes du bâtiment où sont installées les logettes, nous avons un racleur automatique. Pour nettoyer cette aire extérieure, nous avons bricolé un racleur avec un tracteur de jardin. Mais cela nous prend une heure et demie par jour », relève Damien.
Ils ont aussi investi pour améliorer le confort des vaches. « Nous avions choisi un enrobé pour l’aire de promenade qui s’est révélé abrasif et difficile à nettoyer. Les problèmes de maladie de mortellaro et de boiteriesse sont multipliéset les frais ont grimpé », se souvient Damien. Pour redresser la situation, il a fallu refaire la dalle et la recouvrir de tapis, pour 30 000 €. « Les pattes des vaches sont dorénavant plus propres, et les soins vétérinaires ont baissé de 7 000 €. Nous avons conservé des frais de parage, mais en préventif et non plusen curatif », souligne Jean-Yves.
Pour améliorer la santé des vaches tout en diminuant les coûts, ils ont aussi corrigé l’équilibre anions-cations des taries, et réduit ainsi les cas de fièvre de lait. « Aujourd’hui, les vaches ont moins besoin d’aide au vêlage, et les veaux, plus vigoureux, tètent mieux. Il nous reste maintenant à travailler sur les métrites », reprend Jean-Yves. Sur une surface fourragère de 100 ha pour 129 UGB, ils ont conforté leur autonomie en améliorant leurs prairies avec des mélanges suisses (voir encadré). « Au travers de visites de groupes organisées par le réseau des fermes de référence, nous avons aussi bien progressé sur la gestion du pâturage », relève Damien.
Pour optimiser leur marge, les deux frères cherchent à augmenter leur chiffre d’affaires. Ils ne peuvent pas élever plus de vaches car ils sont limités par les surfaces, ni pousser la productivité, celle-ci étant plafonnée à 6 000 l/VL dans le cahier des charges de l’AOP. « Pour améliorer notre prix moyen, nous soignons les taux et la qualité du lait. Et pour compléter notre revenu, nous tirons parti de la mixité de la simmental », explique Damien.
Avec six autres éleveurs, ils approvisionnent des restaurateurs à Paris. « Nous finissons unedizaine de réformes durant six mois avec du foin, des céréales et du maïs non OGM. Après abattage, elles donnent plus de 500 kg de carcasse. » Chaque éleveur facture ses bêtes, mais le planning et le transport sont mutualisés, de façon à livrer deux vaches par semaine à ces restaurateurs durant toute l’année.
« Le produit viande et vente d’animaux pèse un quart de nos ventes »
Les deux frères choisissent les réformes les mieux conformées pour les finir. Elles sont valorisées à une moyenne de 2 260 € par tête, contre 1 230 € pour les autres. Les veaux mâles, vendus à trois ou quatre semaines, partent en moyenne à 280 €. « Le produit viande et animaux représente ainsi près d’un quart de nos ventes. Pour produire en appellation laguiole, notre père a dû adopter cette race mixte. C’est un atout, cela nous a bien aidés à investir dans l’amélioration de notre outil de travail. Aujourd’hui, le plus gros est fait ! Il nous reste à reconstituer notre trésorerie après tous ces investissements et à affiner encore la maîtrise des charges », projettent les deux frères.
Frédérique EhrhardPour accéder à l'ensembles nos offres :